> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Bouleversante lecture du dernier rapport du GIEC
2021-26 - Namur, le 23 août 2021. > [pdf]
Changing, by the artist Alisa Singer
Même conscientisé par les rapports précédents, on sort bouleversé de la lecture du rapport du GIEC (1), "Summary for policymakers" (2) publié dans le cadre plus vaste du sixième rapport d’évaluation de l’organisation dont la publication complète est prévue pour mars 2022.
Lecture bouleversante parce qu’il y est écrit en toutes lettres qu’il est désormais certain que le réchauffement climatique est le résultat de l’activité humaine, qu’il est désormais trop tard pour éviter des conséquences majeures, parfois irréversibles, de la hausse des tempé-ratures, et que le délai d’action pour éviter des phénomènes encore plus catastrophiques est très court.
"Il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, les océans et la surface terrestre. De rapides et larges changements dans l’atmosphère, les océans, la cryosphère et la biosphère sont intervenus"(3). Voilà, c’est dit, c’est écrit.
Quelles sont les conséquences de la hausse de la température globale ? Il est pratiquement certain que les chaleurs extrêmes sont devenues plus fréquentes, entrainant plus de sécheresses agricoles et écologiques. La fréquence et l’intensité des précipitations ont augmenté. Le niveau global des mers est monté significativement. La salinité des océans a aussi été profondément modifiée. La fonte des glaciers et de l’arctique s’est accélérée.
Le rapport réaffirme aussi qu’il y a une relation quasi-linéaire entre les émissions cumulatives de CO2 et le réchauffement global qu’elles causent.
Une autre conclusion majeure de ce rapport: même dans les scénarios les plus optimistes (arrêt des émissions en 2050), la température globale va augmenter de 1,5°C d’ici 2040 (contre 1,09°C maintenant), et ne redescendra pas jusque 2100, entrainant une plus grande fréquence des précipitations, inondations, vagues de chaleur, sécheresses, ainsi qu’une montée irréversible du niveau des océans. C’est trop tard, le mal est fait : il est acquis que, dans les prochaines dizaines d’années, des parts importantes de la population, y compris dans nos pays, vont être jetées dans le malheur sans que personne ne puisse y faire grand chose.
Ne parlons pas des scénarios où les émissions continuent après 2050. Une diminution progressive des émissions à l’horizon 2100 n‘empêchera pas l’augmentation de 2°C à l’horizon 2060 et de 2,7°C en 2100. Si la tendance actuelle d’émission des gaz à effets de serre se poursuit, la température globale augmentera de 3,6°C d’ici la fin du siècle. On frémit devant les cartes, publiées dans le rapport, qui montrent l’état de la planète à de telles augmentations de température. Or, ce sont des hypothèses qui restent très vraisemblables, compte tenu de la lenteur avec laquelle les autorités des grands pays s’attaquent au problème.
La plus immédiate leçon à tirer de ces constats est que, en plus de prendre des mesures pour réduire l’émission des gaz à effet de serre, il est urgent de se préparer à gérer ces futures catastrophes naturelles, puisqu’on ne peut plus les prévenir et qu’elles vont aller en s’amplifiant et se répétant durant les prochaines années. Inutile de se mettre la tête dans le sable, nous n’y échapperons pas. Aux niveaux régional et fédéral de la Belgique, il faut désormais élaborer des procédures d’urgence, prévoir des réserves budgétaires et financières pour parer aux dégâts de ces catastrophes, et tenter de les atténuer par de meilleures politiques d’aménagement du territoire et de l’urbanisme, d’adaptation de l’agriculture aux nouvelles conditions, de recomposition des forêts, de protection des littoraux, de la gestion des réserves d’eau douce, pour citer quelques exemples. Ce sont des décisions à prendre ni demain, ni tout à l’heure, mais maintenant.
Partout dans le monde, des moyens humains et financiers sans cesse croissants devront être consacrés pour juste revenir à des situations de bien-être qui prévalaient avant les chaque fois plus nombreux et plus intenses épisodes de chaleur et de sécheresse, de feux, d’inondations, de montée des mers, de tempêtes, de cyclones. Ces moyens ne pourront être affectés à autre chose, alors que les besoins pour la santé, les retraites, la mobilité, l’enseignement, le logement vont aussi croître.
Dès lors, en raison des changements climatiques, même les pays les plus riches risquent une régression collective du bien-être de ses populations. Que dire alors des populations déjà démunies de l’essentiel, déjà victimes de famine, quand elles seront en proie aux sécheresses ou aux cyclones, à la montée des mers et des océans ? Les luttes pour les terres encore cultivables, pour l’eau douce, vont très probablement entrainer de graves conflits, tandis que les flux migratoires vers les zones encore vivables vont augmenter, créant aussi des tensions humanitaires très violentes. Scénario catastrophe ? Il suffit, de multiplier, selon les scénarios, les conséquences actuelles du réchauffement global de la planète pour réaliser que l’humanité ne va pas vers des lendemains qui chantent.
Et après la lecture de ce rapport, en accès libre sur le net, on lève les yeux, on regarde autour de soi, on lit la presse, et on ne laisse pas d’être étonné de l’indifférence des opinions publiques et des pouvoirs en place. Le jour de la publication du rapport, tous les médias en ont beaucoup parlé, mais depuis lors presque plus rien. Et presqu’aucune réaction forte des pouvoirs politiques. Devant de telles conclusions, sans verser dans l’excessif, on aurait pu s’attendre à des réunions d’urgence des leaders mondiaux, à des engagements rapides et forts, à des mesures immédiates mais non, business as usual. Qui a vraiment pris la mesure de la déclaration du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres : "C’est une alerte rouge pour l’humanité. Il n’y a pas de temps à perdre ni d’excuses à trouver". Ne nous faisons pas d’illusions, on attendra la COP26 (4) de Glasgow en novembre pour constater que l’accord de Paris (5) n’est pas respecté et que l’humanité n’est pas toujours très avancée dans la lutte contre le réchauffement de la planète.
Le plus décourageant c’est que nous, wallons, belges et même européens, n’avons pas notre sort entre nos mains. Nous pourrions faire tous les efforts nécessaires pour supprimer les émissions régionales, nationales, continentales des gaz à effet de serre, ces efforts seront quasi vains si le reste de la planète ne suit pas le mouvement. D’ailleurs, sommes-nous vraiment prêts à faire les efforts nécessaires, à bouleverser notre mode de vie? Notre système économique, tel qu’il existe, pourrait-il supporter les changements drastiques que la suppression des émissions des gaz à effet de serre impose ?
Et on se demande, après avoir écrit cette chronique, comment en écrire sur d’autres sujets les prochaines semaines. Non pas qu’il n’y ait d’autres enjeux importants, le quotidien a ses droits, les gens continuent à vivre, mais il y a comme une crainte, une culpabilité de négliger ou de perdre de vue ce drame à dimension planétaire qui se construit depuis cent ans et qui va se précipiter dans les années futures sans qu’il puisse être arrêté et sans que personne ne sache jusqu’où il entraînera le genre humain, surtout quand on y ajoute la pollution des airs, des terres et des mers, la surexploitation des ressources naturelles et les atteintes à la biodiversité.
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(1) Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été créé en 1988 en vue de fournir des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade. Depuis lors, le GIEC a établi cinq rapports d’évaluation multivolumes. Le 6ème rapport d’évaluation est en cours d’élaboration. https://www.ipcc.ch/
(2) Ce rapport n’est disponible qu’en anglais: https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_SPM.pdf
(3) Page 5 du rapport.
(4) Les COP (Conference of the parties) sont des conférences internationales sur le climat qui réunissent les pays signataires de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC).
(5) L’accord de Paris définit un cadre mondial visant à éviter un changement climatique dangereux en limitant le réchauffement de la planète à un niveau nettement inférieur à 2°C et en poursuivant les efforts pour le limiter à 1,5°C. Il a été adopté à la COP 21 à Paris en décembre 2015. https://ec.europa.eu/clima/policies/international/negotiations/paris_fr
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