> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Ralentir la course du libre-échange
2021-04 - Namur, le 1er février 2021. > [pdf]
Photo Björn Wylezich - Dreamstime
Le 26 janvier dernier la Commission européenne a publié une étude de son "Joint Research Center" (JRC) concluant à un impact positif global des traités commerciaux sur l’agriculture européenne : augmentations substantielles des exportations pour une hausse limitée des importations. Cette étude a comme objectif de vaincre les résistances à la signature des futurs accords de libre-échange négociés par la Commission, à commencer par le Mercosur, un projet d’accord commercial avec certains pays d’Amérique latine (1), que de nombreux pays européens, dont la France et l’Allemagne, ne veulent pas endosser dans sa forme actuelle.
La Commission européenne, en voulant imposer ces traités de libre-échange avec la dernière énergie, semble imperméable aux débats sociétaux qui se multiplient sur le commerce international. Un véritable dialogue de sourds s’est installé : quand les opinions publiques parlent de menaces environnementales, de normes sociales, d’inégalités, la Commission répond infailliblement : gains commerciaux, augmentation des exportations, croissance du PIB. Or, ce n’est pas du tout de cela dont il s’agit. Car quand bien même il y aurait bel et bien des gains commerciaux, les opinions publiques contestent l’intérêt-même de ces gains commerciaux, les considérant comme socialement et environnementalement trop coûteux.
Le fait que les simulations de modèles économétriques montrent que l’ouverture des frontières débouche sur des résultats globalement positifs pour tel ou tel continent, tel ou tel pays, tel ou tel secteur, ne signifie pas que tout le monde y gagne. Dans toute libéralisation des marchés, il y a des perdants (ceux qui sont menacés par les importations) et des gagnants (ceux qui gagnent des parts de marché à l’exportation). Pendant longtemps, c’est-à-dire la plus grande partie du XXème siècle, le solde a été largement positif pour les pays européens.
Depuis les années 1980, le bilan est moins tranché, les importations ont réduit les marchés européens pour les entreprises domestiques qui ne sont pas exportatrices mondiales, les délocalisations ont touché durement certaines régions, les salaires sont mis sous pression par la concurrence mondiale. Le consommateur européen y a certainement gagné en se voyant offrir toujours plus de produits et toujours moins chers, les entreprises compétitives aussi, mais à quel prix social pour certains pays ou régions européennes mal préparés à la mondialisation.
La question est délicate: comment décider quel secteur ou quelle activité économique doit être protégée de la concurrence mondiale et pour combien de temps ? Et même si on parvient à apporter une réponse à cette question, est-ce un bon service à rendre à l’économie entière que de favoriser l’inertie de ces secteurs qui n’auront plus beaucoup de motivations pour se réorganiser, innover et fournir des produits aux meilleurs prix et de meilleure qualité ? Dès lors, plutôt que de protéger des secteurs et des emplois, ne vaut-il pas mieux protéger les personnes en leur permettant de se former et en les aidant à trouver un emploi plus gratifiant dans les activités florissantes, ou n’est-il pas préférable d’aider les territoires en difficulté à se reconvertir plutôt que de subsidier des entreprises qui n’ont plus d’avenir ?
Où la remise en cause de l’expansion du commerce mondial est plus évidente, c’est dans l’existence des externalités négatives issues des échanges économiques internationaux. En effet, la production, le transport et la distribution des biens engendre des dommages (les externalités négatives) qui ne sont pas inclus dans le prix et donc ignorés lors des transactions entre agents économiques, faussant le coût global des biens et par conséquent leur prix.
Par exemple, les prix de nos T-shirts n’intègrent pas la forte pollution des usines qui les produisent, ni la précarité sociale et économique des travailleurs qui les confectionnent, et non plus la pollution engendrée par le transport jusqu’à notre continent. De même que le prix de la viande bovine des pays sud-américains que nous consommons en Europe ne tient pas compte des dégâts de la déforestation et du déplacement des populations qui ont été nécessaires pour élever vaches et taureaux, sans compter, ici aussi, les coûts de pollution des transports. Autre exemple, les biens sortant des usines polluantes de Chine ou d’ailleurs viennent concurrencer les biens des entreprises européennes qui font des efforts importants pour limiter, par exemple, l’émission des gaz à effet de serre, engendrant des prix plus élevés.
Sur cette question, économistes et contestataires des accords de libre-échange se rejoignent : tant que les externalités ne sont pas intégrées dans les prix, la libéralisation des échanges se fait sur des bases bancales.
Autrement dit, ces questionnements sur l’opportunité de poursuivre sans faillir la mondialisation, à n’importe quels coûts sociaux ou environnementaux, sont légitimes et ne peuvent être considérés comme antiéconomiques, du moins jusqu’à un certain point. Il n’y a pas à choisir entre les préoccupations sociétales et une économie prospère ou un niveau de vie élevé, Il y a à choisir entre différents développements économiques, soutenables ou non pour la planète et ses habitants, socialement acceptables ou non. De ces choix dépendra le rythme de la mondialisation.
Mais, de toutes les manières, il est temps d’abandonner à l’histoire de la pensée économique le dogme que partout et en toutes circonstances, le libre-échange doit prévaloir et s’imposer. Reste à en convaincre la Commission européenne.
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(1) Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay.
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